Les Démences

Dr. Pascal Chevalet, 1999


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PLAN

1. Un problème de santé publique

2. Définition du syndrome démentiel

3. Diagnostic positif d'un syndrome démentiel

3.1 signes d'appel

3.2 démence confirmée

4. Les démences secondaires

4.1 démences vasculaires

4.2 démences des affections neurologiques

4.3 démences alcooliques

4.4 démences endocriniennes et métaboliques

4.5 démences et maladies systémiques

4.6 démences infectieuses

4.7 démences paranéoplasiques

4.8 autres démences

5. Les démences dégénératives primitives

5.1 démence type Alzheimer

5.2 autres démences dégénératives

6. Examen d'un patient atteint de démence

6.1 sévérité de la démence

6.2 étude anamnestique

6.3 examen physique

6.3.1 examen général

6.3.2 examen neurologique

6.3.3 bilan nutritionnel

7. Examens complémentaires

7.1 bilan minimal

7.2 autres examens

7.2.1 biologiques

7.2.2 ponction lombaire

7.2.3 IRM cérébrale

7.2.4 EEG

7.2.5 Doppler trans-crânien

7.2.6 biopsie cérébrale

8. Diagnostic différentiel

8.1 état dépressif

8.2 syndrome confusionnel

8.3 oubli bénin de la personne âgée

8.4 aphasie de Wernicke isolée

8.5 syndrome de Korsakoff

8.6 psychotropes et troubles métaboliques

9. Conclusion de la prise en charge initiale d'un état démentiel

9.1 synthèse étiopathogénique

9.2 bilan d'évolutivité

9.3 projet de prise en charge

10. Thérapeutique et syndrome démentiel

10.1 le traitement "de fond"

10.2 traitement symptomatique des déficits cognitifs

10.2.1 inhibiteurs de l'acétylcholinestérase

10.2.2 traitements non médicamenteux

10.3 traitement des manifestations non cognitives

10.4 l'épuration de l'ordonnance

10.5 prévention des chutes

10.6 prévention du risque infectieux

10.7 prévention de la dénutrition

11. Information au conjoint ou à la famille

11.1 faut-il annoncer le verdict ?

11.2 travail d'anticipation concernant l'autonomie

11.3 aide à l'aménagement du lieu de vie

11.4 aide à l'obtention d'une aide sociale

11.5 soutient psychologique et "travail de deuil"


1. Un problème de santé publique

Chiffres pour la démence type Alzheimer (DTA) représentant 65 % des démences :

270 000 cas actuellement, doublement en 2020

1,5 % entre 65 et 70ans

4 % entre 70 et 75ans

30 % après 90 ans

Répartition :

Les démences secondaires (20 %)

vasculaires : 15 % et mixtes vasculaires et dégénératives : 5 %

éthyliques ?

Les démences dégénératives primitives (80 %)

DTA : 65 %

fronto-temporale 10 %

avec corps de Lewy : 5 %


2. Définition du syndrome démentiel

SYNDROME CLINIQUE où une diminution des capacités intellectuelles est au premier plan (sans préjuger de l'étiologie) (DSM IV) associant les déficits cognitifs suivants :

- déficit mnésique (acquisition ou restitution des informations) obligatoire

- et déficit cognitif suivant : aphasie, apraxie, agnosie, ou déficit des fonctions exécutives

- et restriction significative dans le fonctionnement social ou professionnel (déclin)

- et évolution progressive chronique ( syndrome confusionnel) avec vigilance conservée

- et troubles ne devant pas pouvoir être exclusivement attribués à une maladie mentale non organique

- association possible à des troubles de l'humeur

- association possible à des troubles psychotiques (hallucinations, délire)

- caractère acquis : débilité

Problématique :

porter le diagnostic de SD démentiel

rechercher une étiologie


3. Diagnostic positif d'un syndrome démentiel

IL EST CLINIQUE

3.1 Signes d'appel

- troubles de la mémoire : souvent seul motif de consultation

- troubles du comportement : irritabilité, difficultés d'adaptation

- troubles psychiatriques : dépression

3.2 Démence confirmée

Altération des fonctions intellectuelles

- amnésie (antérograde de fixation, rétrograde des faits plutôt récents puis globale)

- troubles de l'attention volontaire (fatigabilité, baisse de l'efficacité)

- désorientation temporo-spatiale : errance

- aphasie (troubles du langage : lésion HG, aphasie amnésique, jargonaphasie, manque du mot, réponses stéréotypées) et/ou dysarthrie

- troubles praxiques (impossibilité d'exécuter des tâches motrices : idéomotrice (signe de croix, salut militaire), idéatoire (allumer une cigarette), de l'habillage, de la marche

- troubles gnosiques (défaut de reconnaissance ou d'identification des objets : prosopagnosie

- déficit des fonctions exécutives : planification, organisation, pensée abstraite

- troubles du raisonnement et du cours de la pensée : bradypsychie, persévération, tr. jugement (logique, critique, anosognosie...)

Autres troubles

- troubles psychiatriques : labilité émotionnelle, angoisse, dépression (apathie, aboulie) ou euphorie, indifférence, délires (pauvres, idées de persécution) et hallucinations

- troubles de la personnalité : irritabilité, agressivité

- troubles du comportement : agitation nocturne, fugues ou dépendance vis-à-vis de l'entourage, violence (délits), troubles de la conduite alimentaire, stéréotypies, réflexes primaires, inversion du rythme nycthéméral

- débit verbal perturbé (automatismes, écholalie)

- détérioration physique, dénutrition


4. Les démences secondaires (DS)

Elle sont à rechercher systématiquement sur l'anamnèse, l'examen clinique et les données du bilan étiologique minimal* +++ (*cf. infra)

Certaines sont curables, mais cet aspect est RARE.

Caractères plus précoces ou prédominant dans les démences secondaires :

symptomatologie frontale : apathie, désintérêt, désinhibition, impulsivité, jovialité, altération des fonctions exécutives

atteinte sous-corticale : bradypsychie, bradykinésie, préservation initiale des fonctions symboliques (AAA), syndrome extrapyramidal

intallation plus rapide que DTA


ECRASANTE MAJORITE DES DEMENCES SECONDAIRES:

LES DEMENCES VASCULAIRES ++


4.1 Démences vasculaires

les plus fréquentes des DS, mais souvent associées à DTA

Sont évocateurs :

- passé vasculaire plus ou moins discret

- principal FDR : HTA +++, corrélée aux lacunes sous-corticales (occlusion d'une artère perforante sur hyalinose artériolaire) et aux lésions démyélinisantes de la substance blanche

- diabète, tabagisme, hyperlipémie, ACFA

Particularités cliniques (comparaison/DTA)

- évolution fluctuante par à-coups avec améliorations partielles

- plus fréquents ou plus précoces : signes neurologiques focaux, syndrome pseudo-bulbaire (dont troubles de la déglutition), syndrome extrapyramidal, confusion nocturne, élocution dysarthrique, troubles de la marche (séquelles hémiplégie, astasie-abasie, marche à petits pas, syndrome lacunaire) et incontinence précoces, crises comitiales (10-15 %)

- profil neuropsychologique sous-cortical et connotation frontale : bradypsychie, troubles des fonctions frontales et exécutives, labilité émotionnelle, apathie ou désinhibition

QUELQUES DEFINITIONS IMPORTANTES


Astasie-abasie :

- impossibilité de se tenir debout (astasie) et de marcher (abasie), en l'absence de déficit sensitif ou moteur et de troubles de la coordination. Formes de début : marche à petits pas et trouble de l'équilibre en rétropulsion

- étiologies : état lacunaire ++, hydrocéphalie à pression normale, astasobasophobie, tumeurs hématomes et syndromes frontaux, Parkinson évolué, démences, "astasies-abasies séniles"


Syndrome lacunaire de Pierre-Marie = "état lacunaire"

- trouble de la marche au premier plan : marche à petits pas ++ évoluant vers une une astasie-abasie

- labilité émotionnelle

- dysarthrie, syndrome pyramidal +/- déficits moteurs

- troubles des fonctions intellectuelles

- peut évoluer vers le syndrome pseudo-bulbaire (ou comporter des éléments de)


Syndrome pseudo-bulbaire :

- résulte d'une atteinte bilatérale des voies cortico-nucléaires réalisant une paralysie supra-nucléaire dissociée affectant les nerfs bulbaires.

- associe troubles de la mimique + troubles de la phonation + troubles de la déglutition

- troubles de la mimique : apparence hébétée, aspect atone du visage mais mimique émotionnelle conservée, rires et pleurs spasmodiques

- troubles de la phonation : voix monotone dysarthrique, parole lente, traînante, nasonnée avec première syllabe explosive (dystonie)

- troubles de la déglutition : précoces ou révélateurs

- examen neurologique : abolition du réflexe du vélo-palatin et du nauséeux, paralysie du voile, diplégie faciale (paralysie oculomotrice possible), absence de protraction de la langue, présence du palmo-mentonnier

- [Hors syndrome pseudo-bulbaire mais souvent associés et en rapport avec la diffusion des lésions : marche à petits pas à astasie-abasie, syndrome pyramidal, troubles sphinctériens, syndrome extrapyramidal et cérébelleux, détérioration fonctions supérieures]

- étiologies du syndrome pseudo-bulbaire : en rapport avec des lésions vasculaires le plus souvent (états lacunaires et infarctus bilatéraux), mais retrouvé aussi dans lésions tumorales, intoxication au C=O, traumatismes, encéphalites, connectivites, SEP, SLA, Steele-Richardson...


Imagerie

- aspect TDM : généralement suffisant (sans I.V.) : séquelles infarctus, lacunes, hypodensité péri-ventriculaire (leucoaraïose non spécifique)

- IRM : visualise des lésions de petite taille, la substance blanche

Formes radiologiques, histologiques, cliniques :

- lacunes sous-corticales et/ou leucoaraïose pouvant réaliser la leucoencéphalopathie vasculaire de Binswanger : lacunes et leucoaraïose et scléro-hyalinose artériolaire

- "angiopathie amyloïde cérébrale" : infiltration amyloïde de la paroi des artères cérébrales de moyen et petit calibre (peptide A40 et 42), souvent associée à une angiopathie de type scléro-hyalinose (réalisant une angiopathie mixte).

Favorisée par l'HTA (?) et également retrouvée dans la DTA, elle favorise les hémorragies cérébrales multiples ++ mais aussi les lacunes, les leucoencéphalopathies ou infarctus, et probablement l'évolution vers un syndrome démentiel par leur intermédiaire.

- démence par infarctus multiples, dite de Hachinski

- démence par bas débit cérébral sur sténose carotidienne bilatérale serrée

- démence par lésions focales du circuit de Papez (c. post)

Bilan spécifique

éventuellement écho-Doppler TSA (sténoses carotidiennes très serrées ; on demande rarement un écho-Dopler trans-crânien), +/- FDR vasculaires

Traitement spécifique

équilibrer HTA mais rôle surtout préventif, et dans certains cas les FDR vasculaires autres

aspirine

kinésithérapie difficile en cas de négligence spatiale

4.2 Démences des affections neurologiques

hydrocéphalie à pression normale (HPN)

hématome sous-dural chronique (HSD)

tumeur cérébrale (méningiome)

maladie de Parkinson

sclérose en plaque (SEP)

Chorée de Hungtinton

sont évocateurs :

- ATCD TC, hémorragie méningée ou méningite, évolution fluctuante, association ralentissement + troubles sphinctériens + troubles de la marche et de l'équilibre en rétropulsion (astasie-abasie) + dilatation ventriculaire (avec anomalies de la SB périventriculaire, peu ou pas d'atrophie corticale et pas de lacunes +/- baisse de l'acuité visuelle +/- nystagmus (HPN)

- ATCD ANCIEN de Parkinson (Parkinson)

- chorée dans la famille, SD extrapyramidal (Chorée de Hungtinton, autoD)

- anticoagulants, chute (HSD)

- céphalées, signes focalisés, HIC (tumeurs, HSD)

bilan spécifique

- TDM et PL soustractive 40 cc (HPN)

traitement spécifique

- dérivation (HPN)

- neurochirurgie des méningiomes, tumeurs ou HSD

- traitement médical de l'HSD

4.3 Démences alcooliques

- Tableau de démence (frontale) en partie réversible, avec ralentissement psycho-moteur, troubles de la mémoire et altérations frontales au premier plan.

- ou Gayet-Wernicke : alcoolique dénutri, carencé en B1, associant troubles oculomoteurs (VI, nystagmus..), état confusionnel (troubles de la mémoire, hallucinations), ataxie cérébelleuse (statique, dysarthrie), troubles végétatifs, possibilité d'amélioration sous B1.

- ou Pellagre (dermatite, démence, diarrhée)

- ou maladie de Marchiafava-Bignami (rare): syndrome confusionnel, hypertonie, mutisme, dysarthrie, astasie-abasie, paralysie générale, épilepsie, amnésie, nécrose du corps calleux évoluant vers décès en 3 ou 4 ans (IRM ++)

4.4 Démences endocriniennes et métaboliques

hypothyroïdie ++

carence B12 ou folates

hypo(hyper)parathyroïdie

maladie de Cushing ou Addison

maladie de Wilson

insuffisance hépatique ou rénale

Sont évocateurs :

- macrocytose : hypothyroïdie, carences

- hypocalcémie

- syndrome extrapyramidal, âge < 50 ans, cirrhose, anneau de Kayser-Fleisher (Wilson)

- frilosité, pouls lent (hypothyroïdie)

Traitement spécifique

- décevant pour les carences (B12)

- efficace dans les hypothyroïdies

4.5 Démences systémiques (rares)

SAPL++ (infarctus multiples)

lupus (angéite)

maladie de Horton ?

neurosarcoidose

Goujerot-Sjögren

Vascularites SNC associées à une connectivite, vascularite systémique ou primitive du SNC

Sont évocateurs :

ATCD et âge

aspects IRM (sarcoidose, lupus)

artériographie, biopsie cérébrale : vascularite

Traitement spécifique

immunosuppresseurs : azathioprine, cyclophosphamide ++ (vasculatite, sarcoidose, lupus, goujerot)

anticoagulants (SAPL)

4.6 Démences infectieuses

essentiellement liées au SIDA

Sont évocateurs :

- ATCD

- âge

formes :

- SIDA : lymphome, toxoplasmose, LEMP

- prion : myoclonies, signes extrapyramidaux et pyramidaux, cécité corticale

- syphilis : Argyll-Robertson, tabès (hanches +), délire mégalo-maniaque et troubles du jugement, paralysies

- maladie de Whipple : diarrhée avec malabsorption, rhumatisme, myoclonies buccales, ophtalmoplégie supranucléaire

bilan spécifique

- histologie : prion (spongiose, plaques amyloïdes avec protéine PrP), Whipple (+sérologie)

- sérologie TPHA sang et LCR, VIH

traitement spécifique

- syphilis : décevant

- ATB si Whipple

4.7 Démences paranéoplasiques

- diagnostic difficile

- tableau d'encéphalomyélite

- K poumon++

- traitement étiologique si possible

4.8 Autres démences

- post-traumatiques : boxeurs

- pagétique : bouffées confusionnelles


5. Les démences dégénératives primitives

Elle sont caractérisées par une dégénérescence et une raréfaction des neurones

Il s'agit de la DTA surtout, les autres sont rares et sont envisagées avant 65 ans

5.1 Démence type Alzheimer (DTA)

à partir de 40 ans (rare)

65 % des démences

le diagnostic est clinique et probabiliste (et théoriquement ne pourrait être confirmé sans biopsie)

évolution très progressive et lente sur 10 à 20 ans

Facteurs de risque possibles

sexe féminin

aluminium dans l'eau de boisson

diabète

ATCD familiaux de DTA

ATCD traumatismes crâniens

exposition à des champs magnétiques

Semblent protecteurs (non prouvé) : niveau socio-économique élevé, tabac, AINS, traitement substitutif hormonal de la ménopause, consommation modérée de vin

Définition

celle du syndrome démentiel

+ : le déficit cognitif n'est pas lié à une autre maladie du SNC (vasculaire, Parkinson, Chorée, HSD, HPN, SEP..), ou maladie systémique, ou toxiques.

bilan étiologique négatif et pas d'élément pour étiologie vasculaire

le diagnostic nécessite un déficit de plusieurs fonctions cognitives et un suivi prolongé

Au début

- troubles de la mémoire au premier plan (75 %) de type amnésie antérograde et troubles de la mémoire de travail et de la mémoire épisodique alors que la mémoire biographique reste longtemps correcte

- composante sémantique (mémoire-langage) altérée

- trouble du langage isolé : manque du mot, avec compréhension préservée, périphrases

- désorientation temporelle puis spatiale

- apraxie idéomotrice et de construction précoces

- prosopagnosie pour les visages peu connus

- troubles du comportement et de l'humeur : indifférence, dépression souvent précoce++

- troubles du jugement et atteinte des fonctions exécutives (planifier une action complexe...actions inconsidérées)

examen psychogériatrique : amnésie antérograde précoce (liste de mots), atteinte de la mémoire de travail, de la mémoire épisodique. désorientation temporelle, épreuves de dénomination, praxies, MMS 24 (déficit cognitif certain < 18), parfois > 24 : niveau culturel élevé.

examen neurologique périphérique normal : les troubles de la marche ne sont pas précoces dans la DTA

Dans les formes évoluées

- apraxie idéatoire puis de l'habillage et de la marche

- troubles affectifs : émoussement affectif, apathie et incontinence émotionnelle

- perte de l'autonomie : déplacements, téléphone, habillage, incontinence urinaire puis fécale, marche, transferts, grabatérisation progressive

- troubles du comportement et troubles psychiatriques : anxiété, dépression, indifférence, délires, hallucinations, agressivité, agitation, fugues, épisodes confusionnels, troubles du comportement alimentaire

- crises épileptiques tardives

- syndrome extrapyramidal tardif et signes neurologiques focalisés

- décès : 5 à 15 ans (fausse route, troubles métaboliques, septis, embolie pulmonaire)

Neurotransmetteurs :

- perte neuronale cholinergique +++

- neurotransmission glutamatergique très perturbée

Lésions histologiques(ME, immunohistochimie)

4 éléments sont assez caractéristiques et souvent associés

Prédominance des lésions : cortex pariéto-occipital

  1. les plaques séniles neuritiques extracellulaires sont assez caractéristiques, constituées d'un cœur (coloré par le rouge Congo et biréfringent) formé d'un dépôt d'une protéine amyloïde A (formée par clivage anormale de la protéine précurseur amyloïde APP, protéine transmembranaire de fonction inconnue), entouré de débris de prolongements neuronaux, dans le cortex et assez diffuses. [Le peptide amyloïde A est formé de 10 à 42 acides aminés, est normalement présent dans la plupart des liquides biologiques à l'état de traces. Il adopte dans la DTA une conformation spatiale -plissée].
  2. les dégénérescences neurofibrillaires (DNF) : non spécifiques DTA (vieillissement normal, trisomie 21, etc.. ), enchevêtrement neurofibrillaires intraneuronaux de filaments en double hélice, constitués de protéines du cytosquelette, notamment les protéines tau, anormalement hyperphosphorylées, dans les régions hippocampiques et dans le cortex associatif structures filamenteuses anormales (en forme de torche) dans les neurones pyramidaux ou autres neurones sous-corticaux.
  3. la perte neuronale : elle est précédée d'une perte synaptique
  4. les plaques séniles marquées par AMY117, corticales et sous-corticales, non amyloïdes, de découverte récente, seraient très spécifiques de la DTA.

- Les "fibres tortueuses", la "couronne des plaques séniles neuritiques" (dépôts axonaux argyrophiles entourant un dépôt extracellulaire de peptide amyloïde A), sont aussi liées à l'accumulation de protéines tau.

- la dégénérescence granulo-vacuolaire accompagne la dégénérescence neurofibrillaire, contient de la protéine tau phosphorylée.

- dépôts amyloïdes vasculaires (peptide amyloïde A)

Physiopathologie

Le dépôt de la protéine amyloïde A serait précoce et précède la dégénérescence neurofibrillaire, à l'origine d'un déficit de la neurotransmission, notamment cholinergique. L'APOE pourrait, entre autres, être impliquée, favorisant sa structure -plissée, et le stress oxydatif du peptide A sur le neurone.

Formes topographiques

- atteinte des aires associatives postérieures (le plus fréquent) : aphasie Wernicke, troubles mnésiques et de l'orientation puis SD aphaso-apraxo-agnosique

- atteinte antérieure : aphasie antérieure, signes frontaux, fonctions exécutives

- formes gauches ou droites

Formes selon l'âge

- préséniles

- séniles (après 65 ans)

Formes héréditaires à transmission autosomique dominante

rares, 1000 cas en France

Elles sont liées à des mutations sur les gènes de :

- l'APP (protéine précurseur de l'amyloïde), mutation Val 717Ile : 17 familles, entraînant une surproduction de peptide A long.

- des présenilines 1 et 2 (protéines exprimées au niveau des membranes du réticulum endoplasmique, du Golgi et du noyau) : nombreuses mutations, 100 familles. Une PS anormale pourrait aussi favoriser le clivage de L'APP en peptide A et éventuellement l'apoptose cellulaire.

Formes associées +++

- à une démence vasculaire++

- à une maladie de Parkinson+

Examens complémentaires

généralement inutiles hors bilan minimal (cf infra)

- TDM : éventuelle atrophie corticale et sous-corticale surtout temporopariétale, ou normale

- IRM : atrophie de la région hippocampique, atrophie prédominant en pariétal-postérieur, ou normale

- LCR : normal

- biopsie : exceptionnelle, confirme le diagnostic

Marqueurs génétiques de la DTA classique

la grande majorité des DTA obéissent à un déterminisme multifactoriel.

Les formes habituelles de DTA associées à l'allèle e4 de l'apolipoprotéine E (ch 19). L'APOE est synthétisée dans le SNC par les astrocytes et intervient dans le transport des lipoprotéines (neurones cholinergiques), la réparation des membranes neuronales et la croissance cellulaire. E4 favoriserait l'organisation de la protéine tau en paires de filaments hélicoïdaux, et donc la DNF. Elle existe sous 3 isotypes apoE2 (7 %), E3 (78 %), E4 (15 %) (répartition dans la population caucasienne)

Le RR de DTA est de 2,7 pour E3/E4 (risque supérieur pour les femmes), 12,5 pour E4/E4. E2/E3 est protecteur par rapport à E3/E3, génotype le plus fréquent (61 %). La présence de E4 chez porteurs de DTA augmente le risque DTA chez leurs enfants (le risque serait double à 90 ans si E4/E4), mais ce n'est pas le seul FDR familial.

50 % des DTA n'ont

ni l'allèle E4

ni mutation de l'APP ou PS1 ou PS2.

En pratique :

APOE

- chez un sujet normal, la connaissance du génotype APOE n'a aucun intérêt

- chez un sujet porteur d'une démence DTA ou démence atypique ou non-étiquetée : aucun intérêt car ne prouve pas la nature de la démence

- enfants de porteurs DTA : ....la recherche de E4 pourrait être plutôt nuisible...et chère.

- donc : pas d'intérêt hors protocoles

Etude génétique

- mais intérêt éventuel pour la recherche des mutations dans les rares familles à démence à transmission autosomique dominante (APP, PS1, PS2).

5.2 Autres démences dégénératives

avant 65 ans

Caractéristiques communes

- syndrome frontal souvent prédominant

(distractibilité, fluence diminuée, persévérations, stéréotypies, manque du mot, écholalies, désinhibition)

- syndrome extrapyramidal précoce

- désorientation temporelle plus que spatiale

- troubles du comportement

(désinhibition ou apathie, impulsivité, conduite alimentaire)

- troubles de l'humeur : labilité émotionnelle, exaltation

Imagerie

respect du cortex postérieur

Etiologies

- démences fronto-temporales : fonctions cognitives plus ou moins préservées, pas de désorientation spatiale, amnésie modérée, troubles du comportement (irritabilité, hyperphagie conduites stéréotypées), troubles de l'humeur (tristesse ou exaltation, désintérêt), réflexes archaïques :

Histologie : cellules de Pick (volumineuses inclusions intracytoplasmiques argyrophiles non spécifiques avec aspect de "neurones gonflés"), gliose astrocytaire, raréfaction neuronale, lésions prédominant en région fronto-temporale.

L'évolution vers un tableau de démence profonde en moins de 10 ans.

- maladie de Steele-Richardson (paralysie de verticalité, syndrome extrapyramidal, hypotension orthostatique, démence frontale)

- dégénérescence cortico-basale

- démence avec corps de Lewy diffus (DL) : diagnostic probabiliste purement clinique : variation importante des performances intellectuelles (fluctuations), rigidité extrapyramidale, hallucinations visuelles précoces (personnes ou animaux), chutes fréquentes (hypotension posturale et troubles de l'équilibre), sensibilité particulière aux neuroleptiques.

Histologie : les corps de Lewy sont des inclusions sphériques éosinophiles marquées par certains anticorps, situées dans le corps cellulaire, prenant souvent un aspect en cocarde au niveau des neurones corticaux, non spécifiques de la DL (Parkinson, DTA), mais retrouvées en grand nombre dans la DL.


6. Examen d'un patient atteint de démence

Nécessite l'interrogatoire du patient et de la famille

Précis, il doit être consigné et daté ++

6.1 sévérité de la démence

- global : MMS : N 28/30, pathologique 24, pas toujours sensible dans les démences débutantes

- orientation temporo-spatiale : questions classiques

- tests mnésiques : mémoire à court terme (répétition d'une liste de mots, restitution d'un dessin), épreuve de rappel différé, mémoire des faits récents, mémoire épisodique, biographique (mémoire rétrograde), procédurale, mémoire sémantique, mémoire verbale ou visuo-spatiale

- parole et langage : parole spontanée (aphasie ou dysarthrie), fluence verbale, répétitions, dénominations, compréhension orale et écrite

- praxies : écriture, habillage, dessin d'un cube, gestes sans signification, symboliques (signe de croix), transitifsapraxie idéomotrice, idéatoire, réflexive, constructive

- gnosies : dénominations visuelles et tactiles, lecture

- capacités de concentration : compte à rebours, copie d'un dessin complexe

- facultés de raisonnement et de jugement : calcul, critique d'histoire, explication du texte lu, problèmes

6.2 étude anamnestique (visée étiologique)

Etablit :

- le niveau socio-culturel++

- les antécédents médicaux et psychiatriques personnels et familiaux

- les risques VIH

- les antécédents professionnels

- la liste des médicaments consommés++

- l'âge de début et le mode d'installation+++

- l'évolution

- recherche des signes fonctionnels d'accompagnement

6.3 examen physique (à visée étiologique, + sévérité démence)

6.3.1 examen général : signes d'hypothyroïdie, anémie, OH, toxiques, organomégalies, examen cardio-vasculaire avec auscultation des axes vasculaires principaux

6.3.2 examen neurologique : signes focalisés, signes HIC, examen de la marche, de la station debout, syndrome extrapyramidal, cérébelleux, paires crâniennes

6.3.3 bilan nutritionnel : enquête nutritionnelle, poids et son évolution, atrophie musculaire, pli tricipital, signes carentiels


7. Examens complémentaires

7.1 bilan minimal


TDM cérébrale sans IV

natrémie, calcémie, glycémie, créatininémie, urée

numération et formule sanguine

TSH


nécessaire et suffisant, dans la grande majorité des cas + + +

TDM discutable, en cas d'âge > 85 ans et histoire évoquant DTA ou démence vasculaire, ou en cas de terrain très débilité (pluridéfaillances)

Résultats TDM cérébrale

TDM : AC, ASC, ACSC, altérations de la substance blanche, séquelles AVC ou lacunes ou leucoencéphalopathie, hydrocéphalie PN, tumeur, hématome sous-dural

7.2 autres examens : ORIENTES selon âge de début ou points d'appels étiopathogéniques, le plus souvent après avis spécialisé

7.2.1 biologiques

TPHA-VDRL : n'est plus systématique, si ATCD, délire mégalomaniaque, Argyll, paralysies etc...

VIH : âge, facteurs de risques transfusionnels

vitamine B12 et folates : si anomalie évocatrice

phosphorémie, PTH : si anomalie évocatrice

cycle cortisol, CLU et freinage

TP, bilan hépatique : éthylisme

C=O

anticorps antinucléaires, complément et antiphospholipides : presque jamais !

7.2.2 ponction lombaire

TPHA-VDRL

Test si suspicion HPN

vascularites, sarcoïdose

7.2.3 IRM cérébrale

analyse de la substance blanche

jeune âge (= neurologue)

atypies neurologiques

discussion spécialisée neurologue-neurochirurgiens

7.2.4 EEG

Creutzfeld-Jacob

ondes lentes DTA, normal démences frontales

7.2.5 Doppler trans-crânien

exceptionnel, doute sur lésions vasculaires, après vx du cou

peu d'intérêt en pratique!

7.2.6 Biopsie cérébrale

indication spécialisée


8. Diagnostic différentiel

8.1 Etat dépressif

- tableau de "pseudo-démence" : inhibition, opposition, plaintes en litanie

- test thérapeutique

- recul évolutif ++

8.2 Syndrome confusionnel

- (sub)-aigu (généralement)

- carctéristiques : troubles de la vigilance, évolution fluctuante, perplexité anxieuse

- étiologie à rechercher

8.3 Oubli bénin de la personne âgée

- isolé

- évolution rassurante

8.4 Aphasie de Wernicke isolée

- troubles de la compréhension orale et écrite

- logorrhée, jargon, paraphasies

- asonognosie

8.5 Syndrome de Korsakoff

- amnésie antérograde de fixation++ (> rétrograde), au premier plan

- fausses reconnaissances et fabulations : inconstant

- désorientation temporo-spatiale chronique

- (histologie : corps mamillaires)

- peu de récupération sous B1

- évolution possible vers démence alcoolique

8.6 Psychotropes et troubles métaboliques

- hyponatrémie

- hypercalcémie

- lithium


9. Conclusion de la prise en charge initiale d'un état démentiel

9.1 synthèse étiopathogénique

faut-il aller plus loin ?

9.2 bilan d'évolutivité

état des fonctions cognitives

état de l'autonomie dans le quotidien

risque de chutes à évaluer

perspectives en terme d'évolutivité

9.3 projet de prise en charge

- traitement (fond et psychotropes) : efficacité et pourtant au second plan

- maintient au domicile ou institution (date prévisible ++)

institution : démences évoluées avec troubles du comportement intolérables ++, déculpabiliser le conjoint, qui peut éventuellement le reprendre à un stade ultérieur.

- aménagement du lieu de vie

- rééducation cognitive

- intervention de tiers : kiné, portage repas, Ide, services spécialisés

- dossier d'aide sociale (PSD), protection juridique (cf. cours ultérieur Pr Rodat)


10. Thérapeutique du syndrome démentiel

10.1 le traitement "de fond"

à visée physiopathologique

10.2 traitement symptomatique des déficits cognitifs

But : retarder la progression des déficits cognitifs

10.2.1 Inhibiteurs de l'acétylcholinestérase = médicaments symptomatiques, diminuant le déficit cholinergique

Effets indésirables : NV, diarrhée, confusion, agitation, cauchemars, hépatite (tacrine)

Précautions : ATCD respiratoires, cardiaques, digestifs, paliers de dose, surveillance hépatique pour tacrine

Exemple : Aricept®, stades légers à modérés, MMS 10 à 26/30, améliore 80 % des patients à 6 mois, monoprise 5 à 10 mg/jour, rechute des performances à l'arrêt rejoignant le placebo, renouvellement possible par MG.

10.2.2 Traitements non médicamenteux

Stimulation des fonctions cognitives et de la mémoire : rôle de l'entourage familial ++ (mémoire, repas, visites, sorties, marche, transferts, habillage)

Stratégies rééducatives précoces et individuelles visant à aborder les difficultés quotidiennes, en exploitant les capacités préservées ;

pour les démences débutantes à modérées surtout (mais pas exclusivement) :

évaluation précise des déficits

collaboration active des proches +++

aides externes

développement de centres de rééducation (HDJ) et prise en charge multidisciplinaire

10.3 Traitement des manifestations non cognitives :

dépression, manifestations anxieuses, troubles du sommeil, troubles du comportement et manifestations psychotiques

objectif : rendre la situation acceptable pour le malade (souffrance) et son entourage

psychotropes

cf. cours prochain

10.4 l'épuration de l'ordonnance

- suppression des médicaments inutiles ou à l'origine d'une confusion avérée ou de troubles mnésiques : antidépresseurs et autres psychotropes si inefficaces, agonistes dopaminergiques, limitation des benzodiazépines (mémoire) etc...

- limitation des médications anticholinergiques (globes vésicaux, bouche sèche, constipation, aggravation du déficit cholinergique central) : tricycliques, certains antiparkinsoniens, +/- neuroleptiques, oxybutynine (incontinence)

- réduction des médicaments à l'origine de troubles métaboliques : diurétiques néfastes en cas de déshydratation (IRF), supprimant par ailleurs le contrôle de la kaliémie et limitant les risques d'hyponatrémie, arrêt éventuel des IEC, arrêt des médicaments à l'origine d'une hyponatrémie

- arrêt ou limitation des médicaments donnant des syndromes extrapyramidaux avérés chez le patient : neuroleptiques (parfois cachés !), ATD sérotoninergiques

- réduction éventuelle des médicaments donnant des hypotensions : clonidine, alpha-bloquants, L-Dopa. Ne pas surtraiter l'HTA

- arrêt des AVK si risque majeur de chute ou de surdosage

10.5 prévention des chutes : étiqueter les troubles exposant aux chutes +++

bilan neurologique : astasie-abasie, déficit moteur ou apraxie, rigidité extrapyramidale, neuropathie

hypoTA : insuffisance veineuse, médicaments, Parkinson, diabète

ophtalmologique : cataracte ++

podologie : chaussures adaptées

bilan orthopédique

psychotropes

prévention de la dénutrition

exercice physique, rééducation posturale, aménagements au domicile

prévention de la gravité des chutes : arrêt des anticoagulants

10.6 prévention du risque infectieux

état dentaire, cutané, éviter sondage à demeure

10.7 prévention de la dénutrition


11. Information de la famille ou du conjoint

11.1 le problème du diagnostic : faut-il annoncer le verdict ?

11.2 travail d'anticipation en terme d'évolution de l'autonomie

11.3 aider à l'aménagement du lieu de vie

simplification du mobilier, indices et signalisation, veilleuses, produits dangereux, espaces de déambulation, calendrier, carnet de mémoire...

11.4 aider à l'obtention d'une aide sociale

PEC 100 %

carte d'invalidité

PSD

IDE pour toilette, personnels des organismes d'aide au domicile

aide ménagère

garde-malade

protection juridique

11.5 soutient psychologique et travail de "deuil"

- éviter le refuge du raisonnement par le médicament

- aide au travail de tolérance (notamment dans le couple) en respectant un équilibre tolérance/apprentissage

- aide à la construction d'un nouvel équilibre, alternance de périodes de stimulation et de repos, en évitant les situations d'échec

- éviter l'infantilisation et l'hypostimulation du malade